Plafond bas: science et anticipation

Plafond bas: science et anticipation

On rencontre cette problématique d’aménagement de surface ou volume avec une faible hauteur sous plafond dans différents cas de figure:
- aménagement de combles,
- création de mezzanines la hauteur sous plafond dans la pièce est à l’inverse très haute,
- aménagement de sous-sol ou de garages,
- aménagement de souplex

Un logement bas de plafond est aujourd’hui perçu comme un désavantage pour une habitation. Avoir un appartement clair et lumineux avec de l’espace et des volumes fait partie des standards recherchés par de nombreuses personnes, locataires ou propriétaires. Mais parfois, on n’a pas le choix, on doit s’en accomoder. Contrairement aux petites fenêtres qui peuvent être potentiellement agrandies, il est beaucoup plus difficile, voir impossible de réhausser un plafond et ainsi gommer ce défaut.

Dans ce type de situation, la magie de l’optimisation d’espace a ses limites. Le seul recours est d’essayer de berner notre perception de l’espace au travers de notre système visuel en lui proposant des indicateurs pertinents. Avant de jouer avec cela, je vous présente un certain nombre de précautions à garder en tête lors de la conception. Sans anticipation, d’autres centimètres peuvent être physiquement perdus au travers de contraintes techniques rencontrées lors du chantier.

Qui suis-je? Je suis Christel Chamaret, pendant 15 ans, j’ai été ingénieur-chercheur dans le domaine du traitement d’image et de la vision par ordinateur. Plus précisément, j’ai travaillé dans les domaines de la perception visuelle, des couleurs et sur différents algorithmes de traitement d’images: colorisation automatique, harmonie des couleurs, détourage d’images. J’ai décidé de changer de métier en 2021 pour devenir designer d’espace et décoratrice mais tout en exploitant mon expertise scientifique. Aujourd’hui, je me propose à travers ce blog de vous expliquer certains phénomènes scientifiques et les astuces que l’on peut appliquer dans le design d’intérieur basées sur toutes ces connaissances scientifiques. Ma mission est de vulgariser du mieux possible la science afin que chacun puisse en bénéficier. designer

Perception des plafonds

Je ne souhaite pas ici détailler toute la litérature scientifique sur les volumes et les espaces. Ce sera l’objet de d’autres articles certainement. Je vous présente brièvement quelques articles pertinents en lien direct avec les plafonds.

Que fait la science?

La littérature scientifique, bien que limitée, n’est pa inexistante dnas l’analyse de la perception des plafonds. Plus généralement, on retrouve de nombreuses expériences en lien plutôt avec la perceptin des espaces, le plafond étant un des paramètres à mesurer parmi d’autres. Ces expériences s’appuyent beaucoup sur des images de synthèse, en réalité virtuelle, car celles-ci sont facilement contrôlables. Pourquoi c’est important? Un scientifique souhaite trouver un “effet” statistiquement significatif (pas une simple coincidence) et reproductible (où d’autres peuvent mesurer des effets similaires dans des conditions similaires). Ainsi un effet peut être proclamé et une découverte est actée. De ce fait, il faut contrôler et faire varier les paramètres de son expérience de façon précise, d’où l’utilisation d’image de synthèse où on pourra, par ex, créer facilement des plafonds à 2m, 2,5m et 3m pour ensuite mesurer des effets.

Ces effets, plus que des émotions, sont mesurés par capteurs capables de rendre des données de type activité cérébrale, pouls, fréquence cardique, sudation etc. Les scientifiques utilisent aussi parfois l’auto-notation des candidats sur leur état interne suite au déroulé de l’expérience. Des échelles standardisées d’auto-notation ont été mises en place pour favoriser la comparaison des données.

Que dit la science?

Le papier scientifique le plus pertinent en lien avec cette problématique est celui de Christoph Von Castell et ses collègues [1], dont le titre est Which Attribute of Ceiling Color Influences Perceived Room Height?. La question est directement traitée dans le titre et le papier, datant de 2018, est un des plus récents sur le sujet. Du coup, ça mérite une conclusion aussi directe, très simple à comprendre et à appliquer. Son équipe a trouvé et conclu que “In order to maximize the perceived height of an interior space, we suggest painting the ceiling in the brightest possible color. The hue and saturation of the paint are only of minor importance.”

En d’autres termes, si nous formalisons notre couleur sous ses trois composantes habituelles, Teinte, Saturation et Luminance (voir cet autre article). Seule la luminance, aussi appelée luminosité ou clarté, a un réel impact dans notre perception de la hauteur des plafonds. La teinte (bleu, jaune, vert…) ou la saturation (amplitude de couleur, variant du gris au très fortement coloré) n’a pas de réels impacts. Cela signifie sur la figure suivante que si je peint mon plafond avec les échantillons a et b, ils procurent la même impression de hauteur de plafond, alors que si j’utilise l’échantillon c et l’échantillon d, ils fournissent une impression de plafond plus bas, respectivement dans cet ordre.

teinte-luminosité-clarté-plafond

C’est un résultat intéressant car facile à appliquer dans un projet concret:

Appliquez la couleur la plus claire possible sur votre plafond sans vous soucier ni de sa teinte d’origine (vert, bleu, jaune…) ni de sa quantité de couleur (saturation).

Une autre publication plus ancienne de Christoph von Castell et ses collègues, [2], Measuring perceived ceiling height in a visual comparison task confirmait déjà que les plafonds plus clairs étaient réellement perçus par notre système visuel comme étant plus hauts que les plafonds plus sombres (voir figure ci-dessous). Egalement, ils ont mis en évidence dans cette publication que nous sommes sensibles aux différences de hauteur de plafond et pouvons détecter des différences de l’ordre de 3%. En d’autres termes nous pouvons percevoir une différence de hauteur entre un plafond de 2,50 m et un plafond de 2,42 m au minimum.

plafond-bas-science-impact-sur-la-perception

Enfin, dans cette dernière publication scientifique des mêmes auteurs, The Effect of Furnishing on Perceived Spatial Dimensions and Spaciousness of Interior Space [3], l’impact de la luminosité des murs ET du plafond est mesuré afin de comprendre notre perception d’espace plus généralement. Une pièce ne se limite pas à son seul plafond et intuitivement, on comprend bien que les murs et leurs couleurs jouent un rôle et pourraient compenser ou contre-balancer l’impression de hauteur d’un plafond clair. Les auteurs se sont posés la question de savoir si les murs plus foncés peuvent jouer un rôle dans notre sensation d’espace.

Le résultat et l’analyse de ces expériences restent cohérentes avec l’intuition que l’on peut avoir en tant que designer d’espace. La conclusion est la suivante: si l’on souhaite rendre un espace le plus large possible en terme de perception, il est recommandé de peindre les murs ET le plafond le plus clair possible. La composante luminosité ou clarté est dominante dans la sensation globale d’espace, au détriment de la saturation ou de la teinte qui n’ont pas d’impact. Un contraste de luminosité entre des murs adjacents ou plafonds, par ex en utilisant des couleurs telle que un beige clair et un beige plus foncé, n’ont pas de réel impact sur la perception de l’espace.

Pourquoi on veut faire ça déjà?

Comme j’aime bien remettre en cause des croyances que l’on peut avoir, j’ai un peu cherché pourquoi finalement on voulait avoir cette impression de plafond haut. Est-ce que cela joue vraiment un rôle sur notre bien-être? Avoir un plafond de 2m40 au lieu des 2m50 habituel et normé, est-ce un problème? Doit-on mener un combat et user d’artifices? A partir de quelle hauteur est-ce un problème?

Au cours des siècles, l’habitat de nos maisons a beaucoup évolué, les surfaces allouées par habitant ont à la fois réduit et augmenté selon la classe sociale. Alors qu’aux siècles passés, les plus riches bénéficiaient d’énormes demeures et les plus pauvres s’entassaient parfois à plusieurs dans des pièces simples, ces différences entre les populations ont regréssé même si elles sont toujours applicables aujourd’hui mais dans une moindre mesure. De la même façon, la hauteur sous plafond, autrefois très haute dans les appartements et maisons cossues s’est standardisée pour les nouveaux logements au sein d’une politique de construction rationnelle et efficace en terme de coût.

Dans la publication de Oshin Vartanian et ses collègues [4], Architectural design and the brain: Effects of ceiling height and perceived enclosure on beauty judgments and approach-avoidance decisions, l’activité du cerveau a été mesurée à l’aide d’un scanner cérébral afin d’évaluer l’impact de la hauteur sous plafond ainsi que l’ouverture d’une pièce, en terme d’esthétique et de décision de mouvement. Sans appel, ces analyses ont montré que:

  • Une pièce avec un plafond plus haut a plus de chance d’ête jugée esthétique et belle qu’une pièce avec un plafond plus bas. Egalement, cela amenait à une exploration visuelle de l’espace et à une sollicitation cérébrale et positive.
  • Le résultat est similaire esthétiquement pour une pièce ouverte contre une pièce fermée. De plus, une pièce plus fermée entrainera une décision de fuite et de sortie.

Last but not least, afin de conclure cette partie sur l’effet induit par la hauteur sous plafond, d’autres chercheurs dans le domaine du marketing, The Influence of Ceiling Height: The Effect of Priming on the Type of Processing That People Use [5], ont mis en avant un effet mesurable sur la réflexion et le concept d’idéation.

Un plafond haut entrainera une personne à penser plus librement et à vagabonder dans ses idées et ses réflexions, alors qu’un plafond bas, entrainera un focus de la personne sur une idée concrète, définie et bornée.

On touche ici plus au domaine de la créativité et de l’exploration, ce qui rejoint aussi la publication précédente. Plus de hauteur entraine une réaction d’exploration du cerveau que ce soit physiquement dans un mouvement ou dans la réflexion.

Ce n’est pas forcément mal ou bien, cela dépend de ce que l’on souhaite faire et du but allouer à l’espace en question.

Précautions: que faut-il anticiper?

J’ai eu l’occasion dasn une réalisation de travailler cette problématique de hauteur sous plafond. Le projet consistait à créer un 3 pièces dans un sous-sol de maison où un studio avait déjà été aménagé (lien vers article). La hauteur sous plafond était de 2m22 brut. L’idée était de créer un appartement moderne et lumineux malgré cette contrainte très forte.

Pendant cette rénovation, j’ai été confrontée à des problémes que je n’avais pas anticipés pendant la conception. Forte de cette expérience, je vous partage des points de vigilance et les problèmes à anticiper. Quand on parle de 2m22 de plafond brut, il s’agissait de la hauteur entre le sol (déjà carrelé mais en partie) et la dalle béton de l’étage supérieur qui faisait office alors de plafond. Il faut déjà se dire, que l’on va perdre encore des centimètres avec la couverture de cette dalle pour créer un vrai plafond.

Chaque centimètre compte et la première priorité dans ce genre de rénovation, c’est vraiment d’être attentif et pertinent sur le nouveau plafond créé. En accord avec le plaquiste, il a été décidé de ne pas isoler le plafond et de mettre du placo avec un rail le plus court possible. Ceci nous a permis de descendre et perdre seulement 5 cm de hauteur. Nous pouvions toujours faire passer nos gaines électriques de 16mm pour alimenter chaque pièce du logement. Attention cependant, aux spots qui eux ont besoin d’une profondeur plus importante (10cm) pour être positionnés. Nous avions éliminé ce type d’éclairage, sauf dans la douche. L’électricien nous a heureusement trouvé un modèle extra-plat de spot étanche pour cet emplacement. Sinon, il aurait fallu abaisser le plafond pour les spots, ce qui n’aurait vraiment pas été pertinent dans cette configuration.

Pour la douche, nous avions prévu un bac extra-plat pour réhausser légèrement la douche et pouvoir installer tout de même une colonne de douche avec une grande pomme en hauteur. Malheureusement, ni moi-même ni les artisans n’avions prévu le problème lié au positionnement de la bonde du receveur. Celle-ci a un certain volume et il n’a pas été possible de mettre un bac extra-plat. Nous avons donc perdu une dizaine de centimètre ne plus dans la douche, ce qui ne permettait plus de mettre la colonne de douche. Finalement, le plombier a coupé la colonne de douche pour pouvoir installer le pomme en hauteur, mais la hauteur est vraiment très petite. Seule une personne de moins de 1m80 peut l’utiliser. Il aurait fallu creuser la dalle pour positionner la bonde au bon emplacement et surtout vérifier avec le plombier qu’il n’y avait pas de problème de niveau ou de pente pour l’évacuation des eaux usées ensuite.

J’avais également désiné dans mes plans le positionnement d’une baie vitrée pour sortir à l’arrière de l’appartement. ici, j’avais bien anticipé les problèmes de hauteur avec le maitre d’oeuvre. Nous sommes partis sur une baie de 1m90 de hauteur avec un volet roulant qui rentrait juste en hauteur et un coffre de volet roulant fait sur mesure en medium par le menuisier. Cela rentrait, mais il fallait bien anticiper ce point.

Enfin, je conseille de privilégier des sols et isolants extraplats afin de ne pas perdre plus que nécessaires. Nous sommes partis en accord avec le propriétaire sur un pvc imitation parquet passage fréquent d’épaisseur 0,2 mm.

En résumé, chaque centimètre compte:

  • On garde minimum 3cm de faux plafond pour faire passer les gaines d’électricité et éventuellement 5cm si on veut utiliser des spots extra-plat.
  • On ne prévoit pas de spots
  • On demande au maçon de creuser la dalle (si cela est possible et si le plombier valide les pentes) pour la bonde de la douche.
  • On prévoit une baie vitrée de 190cm de hauteur et on vérifie bien que ça rentre avec le volet roulant au-dessus.

Si vous voulez connaître mes astuces pour contourner visuellement ce problème de plafond bas, rendez-vous dans cet autre article: 4 astuces pour oublier un plafond bas.

Alors maintenant, à vous de jouer.

[1] von Castell C, Hecht H, Oberfeld D. Which Attribute of Ceiling Color Influences Perceived Room Height? Hum Factors. 2018 Dec;60(8):1228-1240. doi: 10.1177/0018720818789524. Epub 2018 Aug 1. PMID: 30067403.

[2] von Castell C, Hecht H, Oberfeld D. Measuring perceived ceiling height in a visual comparison task. Q J Exp Psychol (Hove). 2017 Mar;70(3):516-532. doi: 10.1080/17470218.2015.1136658. Epub 2016 Mar 4. PMID: 26822335.

[3] von Castell C, Oberfeld D, Hecht H (2014) The Effect of Furnishing on Perceived Spatial Dimensions and Spaciousness of Interior Space. PLOS ONE 9(11): e113267. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0113267

[4] Oshin Vartanian, Gorka Navarrete, Anjan Chatterjee, Lars Brorson Fich, Jose Luis Gonzalez-Mora, Helmut Leder, Cristián Modroño, Marcos Nadal, Nicolai Rostrup, Martin Skov, Architectural design and the brain: Effects of ceiling height and perceived enclosure on beauty judgments and approach-avoidance decisions, Journal of Environmental Psychology, Volume 41, 2015, Pages 10-18, ISSN 0272-4944, https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2014.11.006.

[5] Meyers-Levy, Joan & Zhu, Rui Juliet. (2007). The Influence of Ceiling Height: The Effect of Priming on the Type of Processing That People Use. Journal of Consumer Research. 34. 174-186. 10.1086/519146.

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